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Pourquoi "la journée du non-héros"?




Cela fait environ deux mille sept cents ans que la culture humaine sillonne le récit du monomythe, ou “le voyage du héros”. Depuis vingt-sept siècles, nous avons découvert l'Iliade et l'Odyssée, les noms d'Achille, d'Ulysse, de Télémaque, de Paris et d'Hector - parmi tant d'autres - qui s'inscrivirent dans notre vocabulaire (qui n'a jamais découvert le «talon d'Achille» de quelqu'un ou de quelque chose? ).

Depuis que le premier jeune garçon a reçu le premier appel mystique, nous sommes devenus témoins d'une infinité de héros qui ont quitté leur maison, trouvé un mentor, éveillé en eux un pouvoir exceptionnel, fait face à de nombreux dangers, sont tombés, se sont relevés, ont vaincus leurs ennemis pour finalement revenir chez eux victorieux au regard des siens, désormais reconnus dans toute leur splendeur de héros (ouf!); depuis lors, ce cycle s'est perpétué dans tous les arts.

C'est en 1949 que Joseph Campbell a créé l'expression «le voyage du héros» ou monomythe. À l'époque moderne, cette structure narrative est aussi omniprésente que si elle venait d'être inventée. La caractéristique du «voyage du héros» qui m'a toujours attiré l’attention est celle de la reconnaissance. Il ne suffit pas qu’il ait un «cœur vaillant», de grands pouvoirs et de grandes responsabilités: au moment où le héros entame son voyage, il est sous-estimé, parfois dédaigné et souvent solitaire. Ce n'est que lorsqu'il sauve précisément ceux qui le méprisaient que tout change et maintenant il est investi de toutes les qualités héroïques (jusqu'à ce que le prochain épisode recommence).

Même le public juvénile est devenu consommateur de ce genre de récit. Les reines de glace, les pandas transformés en maîtres des arts martiaux, une fille qui s'habille en soldat pour faire face à l'armée hun, un petit garçon qui finit par affronter le plus grand sorcier de tous les temps ... films, livres et bandes dessinées, entre autres manifestations de la création d’histoires, sont saturés du même message: pour avoir de la valeur et une vie digne de ce nom au regard des autres, vous devez être un héros. Lorsque j'ai commencé à “dessiner” les premiers contours de Bérénice, de nombreuses possibilités de narration m’ont traversé l’esprit. Étant moi-même fan du thème voyage du héros et de la littérature fantastique, j'ai pensé à quelque chose d'extraordinaire pour elle. Mais, plus les contours de l’histoire se façonnait, plus ce modèle me dérangeait et je me demandais quel en était l’intérêt.

Moi même quand je termine un livre du genre voyage du héros, je ressens un mélange d'excitation et de frustration. C’est ce qui m'est arrivé lors de la lecture de la Chronique du tueur de roi (Patrick Rothfuss, par Éditions Bragelone): chaque fois que l’exceptionnellement talentueux Kvothe trouvait une façon géniale de résoudre ses problèmes, je vibrais de "waouhs!" et de "oh là, là!", pour ensuite me dire qu'il n'existerait et n’existera jamais quelqu’un de si prodigieux; et c’est là que mon identification avec l’histoire vacilla.


Ce sentiment était encore plus dérangeant durant ma jeunesse et mon adolescence. Après tout, ces histoires nous disent que notre valeur comme personne ne nous est accordée que lorsque nous faisons quelque chose de remarquable, qui sort du commun. Quand un enfant souffre de harcèlement à l'école, nous ne nous attendons pas à ce qu'il fasse quelque chose d'extraordinaire, qui suscite l'admiration chez ses bourreaux, pour que les choses s'arrangent. Il n'est pas possible de tourner notre regard vers les oubliés de la société que lorsqu'ils font des choses héroïques, comme grimper un immeuble pour sauver un enfant.


Les voyages des héros sont de très belles histoires de dépassement de soit et de courage, mais même en période de surexposition sociale, en général, personne ne s'intéresse à nos batailles quotidiennes et souvent nous restons assis et pleurons sur les pertes, sans savoir quoi faire.

C’est pour cette raison même que Bérénice est sortie du moule du voyage du Héros. Elle n'a rien d'extraordinaire, rien en elle n'est élevé: beauté, intelligence, gentillesse, courage, aucun de ces attributs n'est impressionnant en elle. Si elle vivait aujourd'hui, elle serait une personne invisible dans une queue au supermarché. Elle ne changera rien à la suite de l'histoire. Même l’effet papillon ne s’applique pas à elle. Durant toute sa vie, elle ne causera une différence qu’à ceux qui l’ont croisé. Pour une population estimée entre 60 et 70 millions de personnes, l'impact de l'existence de Bérénice est nul.

Maintenant, vous devez vous demander "mais pourquoi alors écrire un livre sur quelqu'un d'aussi banal". La raison est très simple: pour moi le simple fait d'être vivant est extraordinaire! Chaque jour, tout au long de notre vie, nous sommes confrontés à de nombreuses situations qui nécessitent des efforts et de la détermination. J'ai eu la chance de rencontrer de nombreuses personnes inconnues mais extraordinaires, dont la vie mériterait d'être racontée dans un livre, mais qui ne réalisent même pas à quel point elles sont fantastiques.

À sa manière, Bérénice a également un parcours qui mérite d'être raconté. C’est un roman historique dans lequel vous serez transporté à l'époque de l'Empire romain du IIIème siècle. Il contient tous les éléments qui font briller le fil de la vie. Drame, tension, romance, amitié et beaucoup de surprises sont dans Bérénice de Cappadoce: la journée du non-héros. Mais tout cela est extraordinairement courant. Et c'est pour cette même raison que le livre est à la portée de tous. PS: bien que le mot héroïne existe en français, le terme non-héros a précisément été choisi pour souligner tout ce à quoi le livre s'oppose. Mais ceci est un sujet pour une autre occasion!

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